Ahmed El Jabri
Passer “l’industrie touristique” au crible, telle est la mission à laquelle s’est attelée une équipe d’experts hier matin lors du colloque organisé conjointement par l’Organisation Marocaine de Gouvernance et le Syndicat National Indépendant des Guides de Tourisme du Maroc. Trois heures durant, les intervenants, Driss Aït Lhou, Ahmed El Jabri, Nabil Houbbi et Youssef El Ayoubi en l’occurrence, se sont penchés sur la question du tourisme pour décortiquer les problèmes qui freinent son développement tout en soulignant sa relation étroite avec le patrimoine culturel qui constitue notre identité plurielle et paradoxalement hétéroclite et homogène.

Driss Aït Lhou, professeur universitaire de sociologie à l’Université Cadi Ayyad et Président du Centre Marocain de Recherche et des Études Territoriales, a particulièrement mis l’accent dans son exposé intitulé “Le Tourisme Durable à Marrakech: Le Mythe Touristique ou Le Tourisme Mythique” sur ces deux concepts strictement liés à l’imaginaire du tourisme prévalent dans la cité ocre. Le premier concept renvoie vers l’idée que le tourisme présenté généralement comme étant une industrie bénéfique -car génératrice de revenus, garante de la médiation culturelle et de la promotion patrimoniale et n’impactant pas négativement l’environnement- repose partiellement sur l’illusion. En vérité, le tourisme de masse peut avoir des effets négatifs; à savoir le surtourisme dans les destinations populaires, la dégradation environnementale, la perte de l’authenticité culturelle et le creusement des écarts sociaux dans certaines régions. En fait, le mythe touristique dissimule souvent ses effets néfastes et le tourisme de masse qui s’appuie sur ce concept est d’habitude moins durable dans le long terme sachant qu’il use les ressources locales, contribue à l’émission du dioxyde de carbone et ne bénéficie pas toujours équitablement à la population locale. Quant au tourisme mythique, le deuxième concept selon l’approche de ce sociologue, il peut être synonyme d’exploration et de découverte des légendes, des récits et des coutumes d’une quelconque région. C’est un tourisme qui focalise sur la culture, le patrimoine immatériel et les contes ancestraux et traditionnels. Le tourisme mythique incite à la préservation des cultures locales, des mœurs et coutumes des sociétés autochtones, de l’environnement et à la documentation en profondeur de l’histoire, raison pour laquelle il tend à être plus durable. Dans cette logique, les touristes visitent le Maroc, d’habitude en petits nombres, ce qui réduit l’impact sur les écosystèmes et permet aux populations locales de tirer directement profit du tourisme. Le tourisme mythique est généralement le choix le plus durable eu égard à sa conformité à l’approche qui prône le respect des cultures et des écosystèmes locaux contrairement au mythe touristique qui soutient des modèles de tourisme de masse qui pourraient être préjudiciables à la durabilité des destinations touristiques.
Quant à Nabil Houbbi, ex-directeur de plusieurs entreprises touristiques et formateur en marketing et de gestion d’entreprises et actuellement Directeur Commercial d’une société de transport touristique, il a axé son intervention sur le volet patrimonial sous le titre « La Place du Patrimoine Matériel dans les Politiques et les Législations Touristiques pendant le Protectorat 1912-1956 ». Ainsi a-t-il retracé le cadre légal et législatif de la préservation du patrimoine matériel faisant référence à la première loi dans ce sens, à savoir le Dahir du 26 novembre 1912 qui traite de la protection des «vestiges du passé qui touchent à l’histoire de l’empire marocain ainsi que les choses artistiques qui contribuent à son embellissement», et ce par la création de la Direction des Sites Historiques et des Beaux Arts, Nabil Houbbi a ajouté qu’en 1937 l’ONMT a emboîté le pas à cette Ditection en adoptant le même objectif. Le deuxième volet de son exposé a porté sur les grandes espérances d’un secteur aussi vital que le transport touristique et le besoin incessant de persévérer pour qu’elles puissent se concrétiser mais non sans une restructuration sectorielle et non sans une prise en considération du caractère saisonnier de cette activité, ajoutant qu’il faut également accorder une attention particulière à la capacité de financement, à la mise à niveau des méthodes de gestion, à l’adoption des technologies de l’information et de la communication et à la formation du facteur humain.
S’agissant de la restauration qui fait partie intégrante de la chaîne des valeurs touristiques, Youssef El Ayoubi, Consultant en Hôtellerie et Expert en l’Alimentation Respectante de l’Environnement, a choisi d’intituler son exposé « À Quel Point les Restaurants Marocains Adoptent-ils l’Approche Environnementale, Éthique et Hygiénique Pour la Préservation de l’Art de la Gastronomie Marocaine en tant que Patrimoine Culturel Contribuant au Développement du Tourisme ? ». L’intervenant a non seulement mis en exergue certaines pratiques malhonnêtes non conformes à l’éthique de la profession de restaurateur mais aussi certains aspects manifestes d’un éloignement progressif des composantes authentiques de la gastronomie marocaine. Une authenticité qui représente une autre facette de notre patrimoine culturel riche et distingué et qui contribue activement au rayonnement du tourisme et que nous sommes, par conséquent, impérativement appelés à préserver, a-t-il conclu.

De sa part, Ahmed El Jabri, Fondateur et Secrétaire Général du Syndicat National Indépendant des Guides de Tourisme du Maroc et Vice-président de l’Organisation Marocaine de Gouvernance, a abordé dans son exposé intitulé « L’Industrie du Tourisme au Maroc Sous Le Microscope » l’ensemble des problèmes organisationnels et structurels qui handicapent l’essor du tourisme et qui requièrent le déploiement des efforts de toutes les parties concernées; à savoir le Ministère de tutelle et les diverses institutions qui s’y associent ainsi que la société civile dans le cadre d’une approche participative. Cette dernière doit impérativement favoriser l’échafaudage d’une stratégie commune avec pour objectif primordial la mise en place des outils et des mécanismes indispensables pour une vraie industrie touristique à même de lui garantir un avenir meilleur. Pour clore son exposé, l’intervenant a proposé une batterie de mesures qui pourraient servir de base pour l’élaboration d’une feuille de route permettant le développement durable du secteur touristique.