Ahmed El Jabri
Rares sont nos compatriotes qui ont à la fois le flair entrepreneurial et la passion du patrimoine culturel qui constitue notre identité plurielle fascinante et quasi unique en son genre. Abdellatif Aïtbenabdallah, en est le parfait exemple. Ce Marrakchi qui à force de côtoyer les maîtres artisans les plus réputés des divers corps de métiers des souks traditionnels de la ville ocre, a dès son jeune âge développé un engouement inconditionnel pour le patrimoine architectural et culturel et milite sans relâche pendant plus de quarante ans pour sa préservation, souvent face à l’indifférence, la nonchalance, voire même l’animosité de la multitude d’acteurs pourtant censés être, selon leurs obligations professionnelles, les seuls et uniques tuteurs du patrimoine tous types confondus.



Aussi ce fervent partisan de la sauvegarde de l’héritage culturel -en particulier le patrimoine architectural- s’est-il lancé depuis la fin des années quatre vingt dans l’acquisition et la restauration des vielles maisons vétustes menaçant ruine à Marrakech mais aussi à Fès. En témoignent, entre autres, Dar Chrifa qui date du XVI siècle et qui reste l’une des plus vielles maisons de Marrakech et le fleuron du quartier Mouassine, ou encore Dar Zellij (XVII siècle) à quelques mètres du mausolée de l’un des Sept Saints de Marrakech, Sidi Benslimane El Jazouli, dans le quartier qui porte jusqu’aujourd’hui le nom de ce célébrissime Soufi. Ces deux riads qui constituent un vrai trésor patrimonial ont été complètement rénovés et réhabilités pour ainsi retrouver leur charme d’antan que les visiteurs marocains et étrangers peuvent découvrir et admirer sachant que Dar Chrifa est un Café Littéraire dont la renommée dépasse les frontières marocaines et Dar Zellij l’un des meilleurs restaurants gastronomiques marocains. Certes, Abdellatif Aïtbenabdallah est non seulement ce gardien féru du riche patrimoine culturel et architectural marocain et ce philanthrope qui préfère adopter un profil bas, mais aussi un fin gourmet qui peut vous entretenir des heures durant de la richesse de l’art de la table et l’art de vivre marocains.



Tel un archéologue, constamment occupé à dénicher ces trésors dont recèle la Médina de Marrakech, afin de les extraire de leur vétusté à travers un relooking laborieux et coûteux, la dernière trouvaille de Abdellatif Aïtbenabdallah remonte à quelques années lorsqu’il a enfin pu acquérir un ancien Riad du XVII siècle non loin de la mythique Médersa Ben Youssef. Les travaux de restauration achevés et la touche artistique du maître d’ouvrage donnée à ce Riad baptisé le 1112 (année de l’Hégire où il a été construit, soit l’an 1690 selon le calendrier Grégorien), l’on découvre jalousement gardé derrière une porte en bois massif et un long corridor un joyau architectural singulier digne des contes de fées. La splendeur de ce lieu magique, sa fraîcheur et la sérénité qui s’en dégage en font un vrai havre de paix qui fait vite oublier au visiteur le brouhaha et la cohue qui caractérisent les souks marocains traditionnels. En bon samaritain, Abdellatif Aïtbenabdallah a encore une fois choisi de faire découvrir un autre lieu magique aux visiteurs avides de découvrir l’histoire du thé et de l’hospitalité marocaine légendaires. En effet, ce concept novateur va au-delà de la simple considération pécuniaire ou commerciale en favorisant un habile démarquage des restaurants ou des salons de thé que l’on trouve un peu partout ainsi qu’une approche marketing soigneusement étudiée qui met l’accent sur la vraie satisfaction des clients, ou hôtes comme préfère les appeler Abdellatif Aïtbenabdallah. Ces derniers sont chaleureusement accueillis depuis la porte d’entrée par des hôtesses et servis par de jeunes hommes portant tous la fameuse tenue marocaine traditionnelle. Il va de soi qu’une attention particulière ait été accordée aux moindres détails pour faire découvrir aux « hôtes » autour d’un verre de thé -dont les ingrédients et le goût varient selon chaque région du Maroc- ce savoir-faire et savoir-vivre ancestraux dans ce lieu paradisiaque propice à la contemplation et à la rêverie.

Pérennisant cette grande passion et dévotion inconditionnelle à la sauvegarde du patrimoine culturel, qui est manifestement devenue une tradition familiale ou un legs transmissible de génération en génération, Tarik et Sara, les enfants de Abdellatif Aïtbenabdallah, qui ont respectivement fait leurs études supérieurs en Angleterre et aux États Unis d’Amérique, sont les maîtres du lieu. Érudits, attentionnés, constamment aux aguets et toujours prêts, à l’instar de leur père, à entretenir les hôtes non seulement de l’histoire du thé mais également de la richesse du patrimoine marocain, ce jeune binôme imprégné d’une vaste culture générale et d’un professionnalisme solide à toute épreuve est nul doute prêt à prendre le flambeau, emboîter le pas à leur pygmalion et à relever de nouveaux défis toujours avec cette ardeur, mais non sans modestie, qui est le trait de la famille Aïtbenabdallah.